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dimanche 4 décembre 2016

Tourner une page de sa vie



 A l'heure où bien des gens se préparent à Noël, accompagné ou non de la fête chrétienne symbolisant le partage et le renouveau, je sombre tous les ans dans une tristesse profonde. J'ai perdu plusieurs membres de ma famille en novembre et en décembre, ça n'aide pas à avoir envie de sauter de joie.
Cette année, je suis en plus en train de terminer de vider la maison de mes parents. C’est une tâche difficile à la fois par la masse de travail qu’elle représente que par la flopée de souvenirs et de sentiments qu’elle soulève. J’ai longuement repoussé l’échéance, le moment où l’on se dit « Il faut en finir ». Une association va bientôt venir emporter meubles et objets que je ne peux pas et, au fond, ne souhaite pas garder. C’est l’histoire de ma famille qui va partir dans ce camion. J’espère que les personnes qui récupèreront ces objets seront aussi heureux et unis que nous l’avons été.
Je crois vraiment qu’être entourée dans ces moments a été salutaire pour moi. Je n’ose penser à ce que j’aurais vécu sans mon mari, mes fils, et mes amis, pour arriver à prendre toutes les décisions : je garde, je donne, je jette… Tous ces tiroirs où je n’étais jamais allée fouiller et où j’ai découvert des vieux papiers, des lettres et des photos m’emportent vers des décennies d’histoire. Pour certaines, je ne sais pas quelle personne elles ont immortalisées, et parfois j’ai un coup au cœur quand je constate qu’il s’agit de la dernière photo connue de tel ou tel proche. Je trouve parfois des notes dont je ne peux m’empêcher de penser qu’elles ont été laissées là à mon intention, « quand le moment sera venu », et cela me bouleverse.
J’en ai de pleins sacs chez moi maintenant : des souvenirs, des choses que je ne veux pas jeter car j’ai envie que mes enfants sachent qui étaient leurs grands-parents et leurs oncles au-delà de ce qu’ils ont connu à leurs côtés.
A regarder les photos, je retrouve le sourire. Il est vrai qu’on ne prend pas d’images des moments tristes, des maladies et des enterrements. J’ai eu pourtant vent d’un projet photographique d’un homme qui a continué de photographier sa femme atteinte d’une maladie incurable jusqu’au bout. Je crois qu’il l’avait fait pour lui montrer qu’il l’aimait encore même souffrante, même abîmée, même mourante. Notre façon de faire face au malheur diffère selon notre capacité à surmonter les choses. Peut-être aussi en fonction de nos moyens d’expression favoris.
Ma mère écrivait beaucoup. Je crois qu’elle a écrit son journal toute sa vie. Je n’y prêtais guère attention à l’époque, mais maintenant que j’ouvre ces pages, je découvre qu’elle racontait tout : les évènements tout simples et les bouleversements, les bonnes et les mauvaises nouvelles. C’est presque terrifiant de se dire que je dois avoir le déroulement de sa vie depuis les années 70, au moins, avec tout ce qui s’est passé sur quarante années. Je ne pense pas que je jetterai ces agendas garnis de son écriture nerveuse et claire. Mais je ne sais pas si j’aurai un jour le cran de tout lire. La mémoire adoucit les souvenirs avec le temps et la capacité de résilience de notre cerveau nous préserve et nous aide à oublier les tsunamis de nos existences… Se replonger dans les évènements comme par un voyage dans le temps, c’est un vrai thème de SF mais est-ce une bonne idée dans la vraie vie ?
J’ai retrouvé certains objets dont j’ai éprouvé le besoin de les prendre une dernière fois dans mes mains pour en retrouver les sensations, comme ces moufles multicolores que ma mère m’avait tricotées quand j’étais encore à l’école. Je les ai même passées, mes mains n’ont pas autant grandi que je le pensais. J’ai retrouvé le côté un peu rêche de cette laine, l’épaisseur du tricot et admiré les petits détails de décoration que ma mère ne manquait jamais d’ajouter. Maintenant, je peux les jeter sans regret, elles sont un peu abimées, sentent le moisi et leur style ne correspond plus à ce qui plairait aujourd’hui à une petite fille. Et puis je ne peux pas tout garder.  J’ouvre des boîtes, des sacs. Je retrouve les chutes de tissu des robes que ma mère cousait, ses patrons, les restes de laine de pulls que j’ai portés ou vu porter par mes proches. Conserver toutes ces choses ne les fera pas revenir mais leur dire adieu m’est nécessaire.
Je touche au bout de l’exercice. La maison a perdu son caractère, son aspect habité pour être maintenant peuplée de sacs, de cartons, et de meubles étiquetés. C’est de moins en moins difficile et je n’ai plus l’impression de piller la demeure de mes parents mais bien de me livrer à une opération de préservation de l’essentiel. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’en sors sans blessure. Le temps sera mon ami, comme toujours.
J’espère qu’une fois ces ultimes tris effectués et la maison rénovée, quand cet endroit ne sera plus la maison de mon adolescence où j’ai été si heureuse, mais un juste un patrimoine immobilier pimpant qui accueillera une nouvelle famille, j’arriverai à tourner la page et à regarder vers l’avenir plutôt que vers le passé. Néanmoins, je ne me fais pas d'illusion : le temps du deuil a son rythme à soi, très éloigné de celui de nos vies modernes. Et les larmes ont encore le droit de couler des années après.

11 commentaires:

  1. <3 <3 <3 Ton témoignage est extrêmement émouvant. Je pense très fort à toi. <3 <3 <3

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    1. Merci Siècle. J'ai longuement hésité avant de poster ce billet. Mais je crois que j'avais besoin d'écrire ce texte, aussi pudiquement que possible, et de le mettre ici, sans relayer ailleurs. Juste un mot pour celles et ceux qui se demandent comment je vais en ce moment. Cela ira bientôt mieux. Merci d'être passée ! <3

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  2. Quel beau témoignage! C'est dans ces situations que l'on voit tout ce qu'il peut y avoir derrière ds objets, derrière un lieu où on a grandi. Même si le deuil ne chemine pas au même rythme que celui que la société tente de nous imposer, rien ne t'empêche de prendre le temps. Plein de <3 dans cette période un peu grise...

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    1. Merci, Florie ! C'est assez étrange, le pouvoir évocateur d'objets au quotidien dont hier encore je ne me souciais plus. Ce n'est pas le gros vase qui compte le plus, mais cette petite collection d'images découpées que j'avais rassemblée... C'est l'évocation et la plongée dans le passé qui est vertigineuse...

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  3. Je suis bouleversé par ton article, et bien évidemment j'ai envie de te serrer dans mes bras <3 Ce que tu vis est une phase normale qu'on a, ou qu'on va tous traverser un jour, hélas. Le journal de ta mère me fait penser à ma propre histoire. J'avais enregistré le récit de vie de ma grand-mère sur un Mini-Disc, j'avais plusieurs heures d'enregistrement. Pendant des années je tremblais à l'idée que cet enregistrement disparaisse (le support Mini-Disci n'est pas connu pour être fiable...), jusqu'au jour où, coup de chance, j'ai trouvé un ami qui a avait une platine Mini-Disc, on a donc pu faire le transfert en mp3... (je ne te raconte pas le stress lors du transfert). J'appréhendais d'écouter à nouveau la voix de ma grand-mère, mais au final ça m'a fait beaucoup de bien car je ne l'avais pas oubliée, c'était comme si je l'avais quittée hier et je suis aujourd'hui plus serein, comme si j'avais pu lui dire adieu. Je pense qu'un jour tu pourras peut-être relire le journal de ta mère, et que ça te fera du bien. Le temps ne fait pas oublier nos proches, mais il rend la blessure un peu moins douloureuse, et le fait que tu aies beaucoup souffert ces derniers mois montre que tu viens de passer un cap essentiel, j'en suis convaincu... ça va aller mieux désormais <3 Gros gros bisous.

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    1. C'est une jolie anecdote que tu me racontes ! La voix est aussi un "vestige" très prenant de nos proches. Au début de notre mariage, nous faisions pas mal de vidéos (camescope à l'époque), il faut vraiment qu'on transfère tout ça sur un support numérique pour ne pas le perdre. Je m'attends là aussi à pas mal d'émotions. Quant au journal de ma mère, oui, je pense que je le lirai un jour, avec sérénité. Pour l'instant, c'est encore un peu tôt. Merci d'être passé, JS, et de tes mots chaleureux <3

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    2. Carrément crêve-coeur. On a vidé la maison de mes grands-parents, qui était un peu ma seconde maison d'enfance, et c'est difficile de laisser, c'est difficile de garder. Maintenant je regarde le bordel chez mes parents, et je me dis qu'il va falloir que je les aide à absorber ce qu'on a ramené, et à trier le reste. Comme souvent, j'ai eu envie d'histoire, d'écrire mes sensations, et si je ne m'y suis pas encore plié, je pense que cela va venir, comme une catharsis je suppose. Ecrire pour absorber, digérer les peines.

      De tout coeur avec toi.

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    3. C'est exactement ça, Cédric, nous réagissons en fonction de notre sensibilité, de notre relation avec la personne qui est partie et bien sûr de notre moyen d'expression. Merci pour ton mot ! <3

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  4. J'ai laissé passé du temps avant de me décider à venir poster sur cet article, car il m'a beaucoup émue.
    Je voulais juste que tu saches que je suis de tout cœur avec toi et que j'approuve complètement tes paroles.
    Je suis surtout heureuse pour toi de te savoir si bien entourée pour cette fin d'année. J'espère que ce Noël en famille t'apportera toute la chaleur dont tu as besoin et dont ta force tranquille se nourrit.
    Je te souhaite de merveilleuses fêtes de fin d'année.

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    1. Merci Roanne pour ton passage ici. J'y réponds tardivement, comme à Cédric, je viens parfois sur la pointe des pieds sur cet article et je lis des mots pleins de chaleur... Je vais mieux maintenant, au fur et à mesure que le temps passe (et que les cartons se vident), et que les projets nouveaux se réalisent, la vie reprend son cours. C'est une drôle de vie que celle des humains, quand même... Des bises, j'espère qu'on se verra cette année IRL ! <3

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    2. Pas de souci, c'est déjà adorable d'avoir pris le temps de répondre !
      Sinon, moi aussi, j'espère qu'on arrivera à se croiser IRL. ;)
      (je voulais faire mon "tour des blogs" ce soir mais je ne sais pas si j'aurai le temps de tout faire, au moins, je t'ai répondu, ça m'évitera d'oublier)

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