De ma (modeste) expérience éditoriale, j’ai vécu à ce jour
deux situations : l’un où le texte plait tel quel à l’éditeur et où les
corrections en vue de publication sont modestes (chasse aux répétitions
résiduelles, un peu de typographie ou autres points de détails) et celui où
l’éditeur aime bien le début du texte et pas la fin. Pourquoi m’arrive-t-il de
louper mes fins ? Il faudra que j’y réfléchisse. Toujours est-il que quand
ça arrive, l’éditeur me demande de modifier le texte au fond. Et là, c’est une
toute autre affaire.
Il y a quelques jours, j’ai commencé les corrections d’une
nouvelle dont je dois revoir la fin et force m’est de constater que je n’avance
pas vite. Je viens de comprendre pourquoi.
Le retravail au fond d’un texte qu’on considère comme
terminé procède d’une sorte de processus de deuil. Vous connaissez sûrement les étapes de
l’acceptation du changement : le choc, le déni, la colère, le marchandage,
la tristesse, la résignation, l’acceptation et la reconstruction. Attention, je
ne suis pas en train de faire dans le mélodramatique. Je ne vais pas jouer à
« moi, l’Artiste, drapée dans mon écharpe d’indignation, je refuse de
toucher une virgule à mon chef d’œuvre ». J’ai bien en tête un principe
simple en écriture : je suis un artisan (une artisane ? ça fait
infusion…) et le texte que j’écris est un travail. En tant que tel, il est
imparfait et améliorable, et si on me demande de le modifier pour le bonifier,
je ne le prends pas pour une attaque personnelle et je me mets au boulot. Donc
les trois premières étapes vont vite chez moi. La quatrième, le marchandage,
consiste à discuter avec l’éditeur pour cerner ses souhaits de mon mieux. Je
n’éprouve la tristesse que de façon fugace (« dommage, je l’aimais bien,
cette fin »… !) et la résignation ne me perturbe pas longtemps, surtout que les corrections éditoriales ont quand
même ceci de sympathique qu’elles sont destinées à permettre une
publication !
Mais la difficulté est d’oublier la version précédente, de
la sortir de son esprit, pour la remplacer par autre chose, qui doit être
meilleur, y compris à mes yeux. Ce qui est dur, inconsciemment, c’est l’étape
d’acceptation. La nouvelle version peut être compliquée à trouver. Je veux bien
changer mais je dois réfléchir et expérimenter pour trouver la nouvelle bonne
façon d’écrire cette fichue fin de texte…En fait, dans le cas qui m’occupe en
ce moment, j’ai créé un nouveau fichier, dont j’ai purement et simplement effacé
les deux dernières pages. Je n’ai pas cherché à faire un emplâtre sur une jambe
de bois, j’ai sucré toute la fin. Je me suis donc retrouvée avec un début
plutôt abouti, et un grand vide derrière. J’avais une petite idée de la
nouvelle fin à écrire, mais pas de phrases en tête, pas vraiment de structure
et pas encore ce petit fourmillement dans le dos que je ressens quand je me dis
que ce que je suis en train de taper sur mon clavier est bon. Juste la
sensation d’avoir un boulot à faire.
Moi qui suis capable de produire pas mal quand je suis
lancée, je me suis surprise à tourner autour du pot, écrire deux lignes un
soir, trois un autre, péniblement, à effacer, recommencer. Et toujours sans le
frisson créatif qui va bien.
En réalité, j’avais du mal à oublier ma première version.
J’ai trouvé ce matin, dans cette phase de demi-sommeil qui
précède la sonnerie du réveil. La vraie nouvelle fin qui devrait convenir, je
l’espère. Du coup, l’esprit de l’histoire est totalement bouleversé. Je pense
qu’une fois que j’aurai travaillé jusqu’au bout ce texte, je me mettrai à
l’aimer, à son tour, tout en gardant un peu de tendresse résiduelle pour son
prédécesseur.
Etre écrivain, je crois, c’est aussi ça. Pratiquer la
résilience et en avoir ou pas le courage.
Bravo !
RépondreSupprimer:) prochaine étape, le même avec un roman, sans aucune certitude de publication à la clef
Eh oui... je tremble déjà avant d'avoir commencé... :-)
SupprimerMerci pour ce partage :-)
RépondreSupprimerDans le cas que tu présentes, il s'agit carrément d'une réécriture, c'est recommencer à zéro à partir d'un contexte (en un seul mot).
Imagine le cauchemar, si l'éditeur te demande de changer la fin, alors que tu as écrit tout le texte pour y mener justement... ;-)
Conclusion : il faut être un peu fêlé pour écrire... ;-) Merci de ton passage à toi aussi !
SupprimerBon, allez, je retente ! J'ai déjà eu affaire aux corrections édito. Pas souvent, mais tout de même assez pour voir que ça varie de l'un à l'autre et que justement, la manière d'être de l'autre influe beaucoup sur notre perception de notre propre texte. Cela peut très bien se passer si tant est que c'est réalisé avec diplomatie et dialogue. Cela peut tout aussi bien être l'exact contraire.
RépondreSupprimerMerci pour cet article m'dame !
J'ai de la chance. Jusqu'à présent tout s'est passé super bien et avec plus que de la diplomatie, de la vraie gentillesse. Le climat est empreint de confiance... mais c'est difficile quand même. C'est plus dans ma tête que le passage est étroit. Bon, je vais y arriver, hein... En tous les cas, merci pour ton passage et ton partage d'expérience !
SupprimerBon courage pour ce travail pas évident… Je pense qu’il est toujours plus facile de faire le deuil quand une autre option semble évidente, une nouvelle fin qui enterre complètement la précédente en termes d’intensité ou d'émotion. Je suis sûr que tu vas y arriver, je crois les palmes ;)
RépondreSupprimerOh mais oui, je vais y arriver, ou alors je me coupe la tête ! Blague à part, tu as raison : il faut adhérer à l'option de remplacement et se dire que c'est pour le meilleur qu'on le fait. Merci d'être passé, en tous les cas !
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