Ma nouvelle parution s’appelle Externalisé. Je ne résiste pas à l’envie d’organiser ce billet en
deux parties. La première peut paraître futile mais elle me fait du bien et je
pense qu’elle peut vous amuser. La deuxième pourrait vous intéresser :
c’est le making of.
1)
Mon bracelet de motivation à jour !
Vous vous souvenez peut-être qu’il y a maintenant trois ans j’avais
décidé de m’encourager à écrire grâce à l’ajout d’un petit bijou (un charm,
pour les connaisseurs) sur un bracelet à chaque publication. Voilà à quoi il
ressemble maintenant.
Si vous me suivez un peu, vous reconnaitrez de droite à gauche (oui, je
sais, ce n’est pas l’ordre naturel, mais ça me permet de finir sur le petit
nouveau, hé) :
- La biche du texte éponyme
sorti dans Gandahar 3 « 24h Chrono » (elle est mignonne, hein ?)
- l’œil de In oculis
veritas, sorti dans Lunatique en 2013
- la note de musique pour
Flashmob, de l’anthologie « Signe apparu en ville »
- une grenouille, pour me
souvenir de ce que je dois à mes amis de CoCyclics
- le A de Adon, où l’on
évoque l’alphabet, chez Walrus et AOC
- un ordinateur, mon outil
chéri
- un ballon pour la petite
fille au ballon, dans Gandahar 1 « Volcans »
- une chaussure rouge pour
Fers et Talons, chez Piment et Muscade
- un téléphone pour la
Poursuite, sorti dans l’anthologie « Ex Machina » chez Elenya
Et enfin, le petit dernier
- le balai d’Externalisé
dans l’anthologie VI chez Malpertuis.
Je n’arrive plus à le mettre toute seule. Les charms sont trop lourds et
le bracelet s’entête à se casser la figure avant que je boucle l’attache.
Ainsi, ma prochaine publication (dont j’ignore le nom, et qui n’est pas pour
tout de suite, puisque je travaille désormais sur de longs projets), ira sur un
COLLIER de motivation. Et là, je dis : yata.
2)
Le making of de la nouvelle
Externalisé a été écrit pour Malpertuis. Je ne l’ai envoyé nulle
part ailleurs. J’ai mis longtemps à extraire ce texte de ma tête. Il a même
fallu que mes séances d’écriture soient fractionnées, car le malaise que je ressentais
prenait le pas sur mon envie de finir l’histoire.
Cette nouvelle, comme je l’ai
déjà dit sur ce blog, est la plus personnelle de ma production à ce jour. Elle
parle du monde du travail, de ses illusions, de sa violence sous-jacente.
J’évoque aussi la transformation des entreprises au travers du sort de cet
employé dans un service de BPO, Business Process Outsourcing, autrement dit une
société d’externalisation.
Cela fait presque trente ans que
je travaille et les gens de ma génération, salariés dans de grosses structures
occidentales, ont vu leur métier radicalement changer. Les fonctions tenues
autrefois dans un même service par des personnels aguerris ont été découpées en
taches successives et une partie d’entre elles confiées à des sociétés extérieures.
Ainsi, nous avons vu arriver chez nous des jeunes femmes en saris, souriantes,
venues apprendre une partie de notre travail pour l’enseigner à leurs collègues
restées en Inde. Remplacez l’Inde par la Bulgarie ou la Pologne aujourd’hui,
c’est le même fonctionnement. On demande aux personnes d’expliquer un bout de leur
métier à d’autres, de rédiger des procédures de travail, et hop ! Le tour
est joué.
En pratique, la transition est
toujours douloureuse, autant sur le plan fonctionnel que psychologique. Au-delà
du ressentiment qu’on peut éprouver vis-à-vis de ces salariés du bout du monde
qui « nous prennent notre travail », les taches restées en Occident
sont souvent ingrates et consistent à corriger les erreurs commises désormais ailleurs.
Ce qui est externalisé, ce sont
les opérations dites transactionnelles : la saisie manuelle, le
classement, l’indexation, puis viennent l’exécution de rapports simples, le
paiement des factures, etc. Toutes ne sont pas confiées à la même entreprise,
on peut très bien dispatcher le travail sur plusieurs prestataires. Vous
l’aurez compris, c’est le taylorisme appliqué aux boulots administratifs et
facilité par le développement des technologies de l’information. A l’heure du
scan et du courriel, inutile de traiter des papiers localement, de les envoyer
sous enveloppe, de téléphoner au fournisseur pour le chouchouter. On passe
d’une entreprise avec des services opérationnels à une entreprise de processus,
et on n’appelle plus les gens des personnels mais des ressources. Du reste, qui
dit encore « service du personnel » aujourd’hui dans les grosses
entreprises ? Je crois au sens, à la mystique des mots.
Et puis un jour, je me suis
demandée ce que pouvaient ressentir ces salariés du bout du monde. Je me suis
souvenue des jours où je n’ai pas forcément été très sympa avec eux quand ils
me contactaient par messagerie instantanée. Du fossé culturel, de cette façon
par exemple de ne pas commencer une conversation professionnelle sans
s’enquérir d’abord de ma santé. Mon
réflexe d’Occidentale obtuse et surbookée a parfois été d’éluder la question et
de me dire « Mais je te connais pas, mon gars, qu’est ce que tu en as à
faire, de ma santé… Viens en au fait : », et puis maintenant, je fais
attention à répondre à ces petites attentions que j’ai appris à repérer. Et
même à retenir quelques noms ou prénoms pour remettre de l’humain dans ces
relations électroniques. Pour pas mal d’administratifs aujourd’hui, la vie
professionnelle se pratique avec des gens qu’on ne rencontre jamais en personne,
qui ne sont qu’une adresse de courriel et une photo dans le coin de leurs
messages.
Je me suis dit qu’adopter leur
point de vue et non le mien serait bien plus futé pour écrire une nouvelle.
Seulement, je n’ai jamais mis les pieds en Inde. Gare aux clichés… !
Mon premier jet n’était pas mal
mais manquait « d’Inde ». J’ai refait une version mais ce n’était
toujours pas ce que je voulais. Il me fallait me documenter sur l’Inde
contemporaine et sortir des images des guides de tourisme. Essayer de toucher
du doigt l’Inde qui bosse pour nous.
Je ne savais au fond que peu de
choses sur ces employés : souvent diplômés largement au dessus de ce qui est
nécessaire pour effectuer ces taches répétitives et hyper normées, ces jeunes
travaillent pour beaucoup moins cher que nous. Et sortie de ça…
Pour tacher d’être plus juste
dans ma peinture de cette Inde des sociétés de services, j’ai lu un petit roman
sans prétention, une nuit @ the call
center de Chetan Bathat. Cette comédie sentimentale nous présente une
jeunesse indienne prise entre respect de la tradition et appel de
l’émancipation, entre histoires d’amour beaucoup moins chastes que l’on imagine
et aspiration à donner du sens à son travail. On suit un petit groupe de
collègues et amis qui travaillent de nuit dans un centre d’appel ouvert à
l’heure où des Américains ont besoin d’assistance pour faire fonctionner leur
grille-pain. C’est vite lu, drôle et caustique, on y trouve un petit côté
fantastique, et il m’a aidée à faire le deuil de l’exotisme et du pittoresque.
Ces jeunes ressemblent aux nôtres… Ils cherchent un boulot, une copine (qu’ils
épouseront, hein, quand même), un avenir, une maison, et pour les plus matures
aider au développement de leur pays.
J’ai lu aussi Le Magicien de la finance de R.K. Narayian, où un type débrouillard
vit une ascension sociale assez drôle en commençant par faire du micro-crédit. J’ai complété mes petites recherches avec un
ou deux films de Bollyood, où les acteurs parlent autant anglais qu’hindi et où
les danses n’ont rien à envier à celles des clips occidentaux les plus
branchés. Ces films surprenants contiennent de vraies tranches de vie, et m’ont
confortée dans l’impression de grand écart culturel entre Orient et Occident. C'est d'ailleurs mon amie Gaby, qui a passé de nombreux mois en Inde, qui m'a très justement conseillée sur les films à voir et qui m'a donné quelques détails qui font vrai. Merci à elle !
Après la mystique des mots, le
pouvoir des chiffres. Le nombre sept est omniprésent dans Externalisé. J’ai
appris dans Légendes de l’Inde de Henri Iselin (un vénérable bouquin qui me
vient de mes frères, une édition de 1962) que c’est le chiffre sacré principal
de cette culture. Je cite un extrait de la belle histoire de la reine Maya : « Ainsi parla celui
qui , dès sa naissance, allait atteindre la « Cime du Monde » en
faisant sept pas, en traversant les sept étages et les septs ciels qui s’y
rattachent. » . Et il y en a des tas comme ça. Dans presque chaque
histoire, le sept et ses multiples sont présents. C’est intéressant d’ailleurs
de voir combien ce chiffre est porteur de mythes dans les cultures du monde
entier. (le joyaux des sept étoiles, le jeu des 7 familles, les 7 piliers de la sagesse, etc...et le nombre de têtes de la Bête de l'Apocalypse...faites l'exercice !)
J’ai laissé reposer le bouillon
pendant un an. Écrit, publié d’autres nouvelles. Au bout d’un moment, j’ai
senti que je tenais le ton juste pour mon texte. J’avais envie de le terminer
puis de passer à autre chose.
La fin m’a donné du fil à
retordre car je ne voulais pas sombrer dans le Grand-Guignol. Je pense être
passée à un cheveu. Vous me direz ce que vous en pensez, si vous voulez. C’est
mon texte le plus sombre, un aperçu de mon côté obscur, en quelque sorte.
J’ai
l’impression d’être soulagée maintenant qu’il est publié et de pouvoir, enfin,
faire le deuil des illusions professionnelles de ma jeunesse, ce qui s’avère
somme toute salutaire.
Je recommande chaudement la série Outsourced (une saison seulement malheureusement) qui décrit la vie dans call-center à l'origine situé aux USA mais qu'on délocalise en Inde. C'est désopilant.
RépondreSupprimerJe me souviens que tu m'en as parlé plusieurs fois... je suis indisciplinée mais je note ! Merci du conseil !
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